La Suisse, paradis des oiseaux lacustres

 


Lacs et cours d’eau suisses offrent de bons habitats aux oiseaux piscivores, si l’on en croit la progression de la distribution et des effectifs de la plupart des grandes espèces depuis 1993-1996. La situation pourrait toutefois vite changer en cas de nouvelles persécutions.

Les oiseaux piscivores ont été intensément pourchassés jusqu’au XXe siècle, comme en témoigne, en 1931 encore, la prime de deux francs versée par la Confédération et les cantons pour le tir d’un Grèbe huppé. Peu à peu cependant, la distinction entre espèces utiles et nuisibles a cédé face à la compréhension de la niche que chacune occupait au sein de la succession écologique. Les persécutions ont cessé à la suite d’études scientifiques ayant montré que les prédateurs n’altéraient guère les effectifs de leurs proies, contrairement à l’inverse, mais la tendance n’a pu s’invertir qu’une fois des périodes de fermeture de la chasse instaurées, des espèces protégées (p. ex. le Héron cendré en 1926) et des districts francs créés. La sauvegarde de ses colonies au niveau européen s’est ainsi avérée décisive dans l’essor du Grand Cormoran.

L’évolution de la qualité des eaux a aussi amené sa pierre à l’édifice. La plupart des lacs suisses étant plutôt oligotrophes par nature, c’est-à-dire pauvres en éléments nutritifs, les apports croissants en phosphore par les eaux usées et en nutriments par fertilisation agricole ont conduit, dès les années 1950, à une recomposition de la faune piscicole. Les poissons blancs, cyprinidés en tête, et les perches en ont bénéficié, tandis que d’autres, comme les corégones, adeptes des profondeurs oligotrophes, auraient disparu sans élevage. Les cyprinidés ont d’abord profité au Grèbe huppé, du moins sur certains lacs et jusqu’à un certain point seulement. L’envahissement des eaux riches en nutriments (eutrophisées) par les algues a entraîné une réduction de visibilité, et surtout un manque d’oxygène préjudiciable à la reproduction des poissons qui, dans des cas extrêmes comme celui du lac de Sempach LU, a d’abord induit un effondrement du nombre de poissons, puis de Grèbes huppés. Tous deux se sont rétablis avec l’amélioration de la qualité des eaux, après réduction des rejets de nutriments et du phosphore en particulier.

Les eaux suisses sont en général attractives pour les piscivores. Nos trois plus grands lacs, Léman, Constance et Neuchâtel, hébergent les trois quarts des effectifs de Grands Cormorans et environ la moitié des Grèbes huppés, contre seulement 30 % des Harles bièvres, ces derniers nichant aussi en nombre sur des cours d’eau. Ces harles et grèbes se reproduisant en Suisse forment une population distincte autour des Alpes, importante à l’échelle européenne, qui confère à notre pays une responsabilité internationale.

Le Léman est le seul lac à héberger des effectifs importants de Grèbes huppés, Grands Cormorans et Harles bièvres, Grand Cormoran ou Grèbe huppé prédominant sur les autres. Toutes les colonies de Grands Cormorans du lac de Constance sont situées en territoire limitrophe.

Hélas, les piscivores sont à nouveau de plus en plus perçus comme concurrents des pêcheurs amateurs et professionnels, alors que l’endiguement des cours d’eau, les aménagements hydroélectriques et les pesticides affectent les poissons au premier chef. C’est ainsi que, sur pression des milieux de la pêche, 46 Hérons cendrés et 19 Harles bièvres ont été tués en moyenne annuelle en 2013-2016. Ces tirs d’espèces protégées – au maximum 96 Harles bièvres en 2007 et 212 Hérons cendrés en 2003 – ont eu lieu sans que des dommages aient pu être suffisamment étayés. Si Grand Cormoran et Grèbe huppé ne sont en outre protégés que dans certains cantons, le tableau de chasse du second (en moyenne 103 individus/an en 2013-2016) est réduit par rapport au premier (1313 individus). On ne peut cependant exclure que la persécution des oiseaux piscivores, si elle s’accroît, menace les populations locales.

Egger Ph.